Expériences afrikielles

Marché de Sikasso au Mali, 2008 (cc C.Hugues)

Marché de Sikasso au Mali, 2008 (cc C.Hugues)

Le rire de joie, très différent du rire toujours un peu contraint que nous pratiquons ici, faisait dire aux colons autrefois que les africains sont « de grands enfants qui s’amusent de tout »… comme le rappelle François Béranger dans sa chanson « Mamadou m’a dit ». Et pourtant on dit que le rire est le propre de l’homme. Il est pour moi non pas un signe de puérilité mais au contraire la plus haute expression de leur humanité.

Le rire de joie, en Afrique, éclatant et spontané, peut intervenir avant même de dire bonjour à quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis une semaine. Le rire occidental, par contraste, est désormais soit sarcastique, soit associé à un comique mais qui n’existe plus vraiment depuis que Raymond Devos, Desproges ou Coluche nous ont quittés.


L’Afrique est dans un autre temps.

En Afrique, tu mets trois jour pour faire soixante-sept kilomètres. Tu t’arrêtes partout, pour parler, dire bonjour, boire un thé, manger… Je crois que c’est à l’écrivain Amadou Hampâté Bâ qu’on doit cette jolie formule : « Vous, vous avez des montres, nous on a le temps ! ».


Ma case au Mali.

Au début de l’an 2000, un ami malien, Saki Kouyaté, m’a fait une surprise digne d’un roi : à l’occasion d’une visite dans son village natal, et après les salutations d’usage et présentations de la grande famille, il me prend par la main et me fait faire quelques mètres hors du groupe, puis me demande de baisser un peu la tête. On avance encore et en me redressant, je me retrouve dans une case à la fraîcheur surprenante. Ils l’avaient bâtie spécialement pour moi dans le village, j’en ai eu les larmes aux yeux.

C’est ma résidence secondaire à moi, dommage que je ne puisse pas y être plus souvent.


Importance de l’éducation.

Alors que j’assistais à la projection d’un film qu’a réalisé un ami sur une organisation qui construit des écoles au Sénégal : Racines d’Enfance, pour lequel j’avais participé à la musique avec mon ami Yakouba Sissokho à la Kora, m’était venu le souci de savoir quoi dire si on me demandait de faire un petit discours à la fin de la projection (cela n’a pas été le cas). Je n’arrivais pas à me souvenir d’une phrase de Victor Hugo à propos d’écoles et de prisons : il avait dit ça comment ?

Revenu à la maison, Google est venu combler mon trou de mémoire : la phrase était « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ! ». Et cela m’a fait tomber sur un article de Natasha Polony dans le Figaro du 9 septembre 2010 à ce sujet, que je vous invite a aller lire en cliquant dessus. Cette phrase, que j’aurais été si fier de prononcer en public, a pris un sens différent après cette lecture. Je vous en laisse juge.


L’Afrique est un continent.

Il faut se méfier de l’utilisation du mot africain à tout bout de champ quand on parle de l’Afrique, et essayer de préciser, autant que possible, à quel peuple ou quelle culture on se réfère. C’est comme si on parlait d’européens en général sans faire de distinction entre français, anglais, espagnols ou suédois.

Il n’est pas possible, non plus, d’utiliser tant que ça le découpage par pays qui a été imposé par les blancs, et qui continue à générer beaucoup de problème dans la mesure où il ne recouvre que très mal (voire pas du tout) les notions de peuples ou d’ethnies qui sont fondatrices ce ce continent.

Chaque peuple a sa langue, sa musique, sa culture, sa nourriture spécifique… et se distingue des autres.


La « parenté à plaisanterie ».

Au Burkina Fasso (et dans les pays voisins) il y a une relation entre les différents peuples qui s’appelle la « parenté à plaisanterie ». C’est un droit accordé de s’insulter faussement, et c’est par la plaisanterie qu’on arrive à régler des conflits entre personnes. Ça doit correspondre à des codes précis qui m’échappent, mais il n’est pas rare d’entendre quelqu’un dire à quelqu’un d’autre « tu es mon esclave », d’une manière qui est perçue comme une plaisanterie et qui sert à dédramatiser les rapports entre les gens surtout ayant des habitudes ou des modes de vie différents. Ça remonte très loin dans l’antiquité africaine et c’est très bien décrit dans une page wikipédia spécifique accompagnée de liens intéressants.


Le rapport à la vieillesse.

Dans la page sur Solo Coulibaly, j’évoque l’âge vénérable de son papa (97 ans), qu’on peut entendre jouant du garango. Je ne sais pas si cet âge est exact mais si ce n’est pas le cas, ce serait par excès et non par défaut ! Car en Afrique, contrairement aux occidentaux (et occidentales !) qui ont toujours tendance à vouloir se rajeunir, les gens ont, au contraire, tendance à se vieillir. Leur rapport avec la vieillesse est très différent du nôtre. Et en y réfléchissant que vaut-il mieux ? Une chair ferme, et un visage sans rides, ou l’expérience de la vie qui amène, peut-être, une certaine sagesse ?


L’hameçon.

Nous avons fait tant de choses pour l’Afrique disent certains. Nous leur avons apporté les routes, les médicaments, l’électricité, nos langues, nos religions, j’en passe et des meilleures.

D’autres disent, et c’est mon cas, que nous avons fait tout cela pour nous sentir « chez nous » chez eux. C’est une évidence, implantés sur leurs terres, nous avions besoin d’un peu de confort, que diable !

Reste que les africains en ont aussi profité et voilà l’hameçon qui apparaît. Il m’est arrivé de penser qu’une indépendance totale de l’Afrique (je parle de l’Afrique car c’est le continent qui me touche mais ce serait valable aussi ailleurs !) passerait par un refus total de notre technologie. Le problème est que, là-bas comme ici, on en a pris l’habitude et on ne saurait s’en passer facilement.

L’hameçon est là, dans notre bouche qui nous emprisonne : si on l’arrache, on en meurt.

Prenons l’exemple de l’électricité : maintenant qu’on a appris à vivre avec l’électricité, c’est dur de s’en passer ! Si tu ne peux plus conserver tes aliments dans un frigo, comment fais-tu sous un soleil étouffant ! Je ne parle même pas des musiciens qui ne peuvent pas faire marcher leurs synthés ou jouer leur sono, mais il y a des choses beaucoup plus importantes : les hôpitaux… On ne peut plus vivre sans électricité maintenant, et c’est d’ailleurs ça qui est terrible ! Car c’est peut-être bien par là que l’Occident tient l’Afrique, en fait ! À travers des besoins qu’elle n’avait pas avant. L’Afrique pourrait-elle envisager une indépendance totale par rapport à l’Occident si elle était prête à se priver d’électricité, de téléphone portable, ou de téléphone tout court ?