LE JOUR OÙ J’AI RENCONTRÉ FRANK ZAPPA

C’était en 1975… Je venais d’avoir quatorze ans, et des amis de mes parents m’avaient invité en vacances aux USA, à Beverly Hills, Los Angeles Californie.

J’étais déjà un dingue des claviers et peu de temps après mon arrivée, je demandai à mes gentils hôtes de ma plus douce voix d’ado, « Emmenez-moi dans un magasin de musique ! ». Et nous voilà partis, dans une voiture américaine, avec l’air conditionné américain, en direction d’un magasin de musique américain.
Il faut vous dire que j’étais totalement excité à l’idée de visiter un magasin de musique américain car, à cette époque, les nouveaux instruments, comme les nouveaux disques, sortaient chaque jour aux States et n’arrivaient que six mois plus tard en France. En fait je n’y allais pas pour acheter quelque chose mais juste pour toucher du nouveau matos et rêver.

Westwood Music Store LA

(Photo courtesy by Westwood Music Store)

« Salut, je m’appelle David. D’où viens-tu ? De France. Super ! Et tu es aveugle ? Voudrais-tu rencontrer Stevie Wonder ? » A ce moment j’ai eu le sentiment de pouvoir toucher du doigt le Rêve Américain, alors j’ai ravaler ma fierté d’adolescent et répondu « Rien du tout ». Non, ce n’est pas ce que j’ai dit, en fait je n’ai rien répondu du tout. Je ne parlerai pas de Stevie maintenant mais c’est comme cela que tout à commencé. Dans la même semaine je rencontrais Stevie Wonder, Joni Mitchell et Frank Zappa, trois de mes idoles. C’est pas un rêve ça ?

Portrait Zappa souriant "famous mustache"

Frank Zappa « famous mustache » (Photo Jean-Luc – CC)

Le soir même, David me conduisit dans un studio de répétition où Frank Zappa and the Mothers allaient arriver. En entrant, on entendait de la soul dans la sono et il n’y avait pas de chaise. Alors je me suis assis par terre dans une position de semi-Yoga en me creusant la tête pour savoir ce que j’allais bien pouvoir dire au grand maître lorsqu’il se pointerait.

Et puis quelques minutes plus tard, j’ai entendu la musique baisser et un grand gars m’a pris par la main en disant : « Salut, je suis Franck ». Bon sang, il ne m’avait pas laissé assez de temps pour réfléchir ! Je n’étais pas encore prêt ! Du coup dans la demi-heure qui a suivi il n’y a que deux choses qui sont sorties de ma stupide bouche d’ado. La première était : « Salut, je suis Jean-Philippe et je suis français », à quoi il répondit : « C’est très bien ». Pourquoi ne lui ai-je pas dit que j’allais devenir le meilleur joueur de claviers du monde ?

Ensuite il m’a amené à quelques mètres de là, et s’est éloigné. Je me suis donc rassis dans ma position de semi-Yoga. Puis il a pris sa guitare et joué un thème lent que je n’avais jamais entendu auparavant et qui était composé d’arpèges dissonants très intéressants basés sur des septièmes mineures où quelque chose comme ça. Alors je me suis dit : « dis quelque chose ! Vas-y ! Franck est juste à coté, à quelques mètres de toi, dis quelque chose ! » Et c’est comme ça qu’est sortie de ma bouche d’ado intimidé la seconde stupidité. J’ai dit : « Quel Phaser utilises-tu ? » Il m’a répondu d’une voix tendre et joviale mais légèrement étonnée, comme si m’a question l’avait un peu déconcerté : « Un Mutron ». J’étais foutu. Je voulais l’entendre dire quelque chose comme : « Es-tu plus intéressé par le matos que par la musique ? » Cela aurait pu être le début d’une conversation très enrichissante mais à ce moment là il avait du taf.

Puis le reste du groupe arriva et ils répétèrent « I’m so cute » (Je suis si mignon) (Hé, ça me fait penser à moi !), dans une version qui n’était pas encore totalement mature. Elle n’avait pas le côté punk de la version de l’album, c’était plus lent et la basse faisait un riff du genre « tadada, tadada, tadada da da », avec d’énormes glissendi sur le manche. C’était amusant et j’ai spécialement apprécié lorsqu’il à dit « Allez les gars, ce ptit bonhomme là bas il veut entendre la chanson ». Et puis, voilà on s’est dit au-revoir et David et moi sommes partis ailleurs en les laissant travailler, fin de l’histoire.

Enfin, pas tout à fait. Quelques années plus tard j’ai vu Zappa en concert à Paris et j’ai été plutôt surpris quand le groupe a commencé à jouer un instrumental dans lequel les deux claviers alternait des solos, en changeant leur son à chaque fois, et Franck décrivait avec une grande précision les synthés et effets utilisés. Je ne sais pas si je suis à l’origine de ce petit épisode amusant mais ça en donne l’impression. Je n’ai pas essayé d’aller en coulisses. J’aurais peut être dû, mais à quoi bon ? Je ne suis pas devenu le meilleur joueur de clavier au monde et je ne sais pas lire la musique alors je n’avais aucune chance de faire partie de son groupe, mais j’ai rencontré une de mes idoles et c’était bien.

Frank Zappa on stage (photo Eddie Berman cc)

Zappa & the Mothers on stage, 1980 
(Photo Eddie Berman, CC)

H

Steve Hillage

I

Stevie Wonder