BABA SISSOKO

Avec Baba tout est simple. C’est un grand oiseau qui vous emporte sur ses ailes, vous n’avez qu’à vous laisser guider. 

En 2020, alors qu’il répétait pour le spectacle Le vol du Boli (très beau spectacle de Damon ALBARN et Abderrahman SISSAKO qu’ils avaient donné au Théâtre du Chatelet, et qui raconte le pillage des arts africains par les colons, cliquez sur le lien pour plus de détails), …Lansiné KOUYATÉ m’a appelé pour me demander si il pouvait venir chez moi avec Madou Sidiki DIABATÉ (joueur de Cora) ..et donc Baba SISSOKO pour quelques enregistrements. Ils ne trouvaient pas de studio et Baba avait un projet qu’ils voulaient absolument enregistrer tant que c’était « chaud ».

J’ai commencé par dire que… ça me disait pas trop, que je ne savais pas ce qu’on allait faire, que je ne suis pas ingénieur du son et que juste en une après-mid, quatre personnes à gérer en même temps me semblait bien compliqué. Et puis, Lansiné a insisté, et Baba que j’ai eu quelques secondes au téléphone m’a paru tellement sympathique et énergique avec sa grosse voix, …que bref, j’ai craqué.

Lorsqu’ils sont arrivés, j’avais déjà installé un micro pour le Balafon, et il s’est avéré que les autres instruments avaient leur propres capteurs, ce qui me facilitait la tâche ! J’ai pu ranger les micros que j’avais sortis, brancher directement les instruments et tout était prêt pour enregistrer, mais vu mon attitude réservée,  mi-figue mi-raisin au téléphone, il règnait une ambiance un peu tendue au tout début de l’enregistrement.

Affiche Le vol du Boli

Donc on s’installe, je donne des casques à tout le monde, et ils commencent à jouer, donc Baba Sissoko au n’goni, Lansiné Kouyaté au balafon, et Madou Sidiki Diabate à la Cora. Je me dis alors : « c’est vraiment trop bien ce qu’ils sont en train de faire » et je leur demande s’ils acceptent que je les accompagne au clavier (je ne suis pas sûr que je leur aie vraiment demandé, en fait !). J’ai choisi un son de Fender Rhodes et j’ai commencé à jouer avec eux en décrivant ça comme un essai, …mais comme je suis un escroc, j’enregistrais en fait déjà ! Et là, on a joué sans s’arrêter, pendant une bonne heure. C’est Baba qui nous dirigeait, proposait un thème, sur lequel les autres enchaînaient, et pour finir, il avait vraiment une manière particulière de nous faire comprendre que le morceau était fini simplement par l’intention musicale, sans parler, juste par un motif, une phrase, comme une sorte de coda. J’étais très inquiet, mais de fait l’enregistrement était parfait, chacun sur sa piste, et le résultat était superbe, comme de nous être retrouvés dans un autre univers, sans plus de casque, presque plus d’instruments, simplement des êtres en train de bavarder (musicalement) ensemble.

Ensuite, ce n’était que rires et félicitations de toute part. Merci à Baba, Maadou Sidiky, et Lansiné pour cette merveilleuse aventure musicale et humaine. Nous avons donc enregistré 11 morceaux en trois heures par cet après-midi incroyable, et mon cher Baba en a ajouté quelques autres. Il a en particulier souhaité rajouter des Tama, pour lesquels le micro que j’avais utilisé pour le balafon s’est révélé tout à fait adapté (un très bon micro stéréo Appolo, de la marque Centronics), puis du chant (toujours avec le même micro, vraiment polyvalent), On a aussi ajouté des duos créés de toutes pièces, à partir de piste de clavier qui n’apparaissait pas dans les morceaux qu’il avait préalablement raccourci.

Le mixage a été assuré par un ingénieur du son italien avec lequel il a l’habitude de travailler (extrait ci-contre), et à qui j’avais envoyé mes pistes après avoir pris le temps de corriger mes fausses notes au clavier, évidemment.

En fait, un jour qu’on en discutait chez lui, en Sardaigne, Baba m’a dit qu’on aurait pu se rencontrer bien avant, mais que ça ne s’était pas fait. Il y a quelques années, il vivait en effet à Paris, et on a fréquenté pas mal de gens en commun, mais bizarrement on ne s’est jamais croisés… Mais n’anticipons pas, car ensuite, évidemment, l’abum est sorti ! Et en fait il faut dire désormais le premier album, Griot Jazz, dont voici la présentation !

L’aventure s’est alors poursuivie, puisque Baba a souhaité attaquer un nouvel album avec moi en duo. Ça a pris un peu de temps et d’échanges téléphoniques puisqu’il vit dans le sud de l’Italie, en Calabre, mais il a fini par décider de venir à Paris à nouveau chez moi. Et la même magie a à nouveau opéré. Après un repas que nous avait préparé Agnès autour d’un délicieux saumon, on s’est retrouvés à enchaîner les morceaux avec une incroyable facilité.

Le résultat est l’album Paris Bamako Jazz (titre pas très original mais je n’avais rien de mieux à proposer), qui vient donc de sortir et qui a donné lieu à divers concerts dont voici quelques images et un bout de vidéo tourné à Cagliari, en Italie en avril 2023.

Avec sa femme Giuliana, qui est également sa manageuse, ils réussissent à avoir une activité d’une incroyable densité et diversité, que ce soit en concerts ou en collaborations, dont on peut largement trouver la trace sur YouTube. Au moment où nous réalisions cet album, il poursuivait parallèlement huit autres projets ! Mais il a quand même réussi à trouver récemment et pour notre duo deux concerts en Italie et un à venir au Portugal ! Et alors que je m’inquiétais d’avoir à apprendre tout un répertoire en très peu de temps, il m’a tout de suite arrêté ! Proposant de réitérer la magie qui nous avait si bien réussi pour ces deux albums, et c’est effectivement comme cela que ça marche. Son système, c’est de ne rien prévoir. À ma connaissance c’est le seul musicien africain à procéder ainsi ! On en revient quasiment au free-jazz des années 70 ! C’est sa grande force, d’amener les choses à se faire …comme il veut qu’elles se fassent, mais sans autoritarisme ni agressivité, d’une manière simplement naturelle, comme « attirer les éléments ».

Concert Cagliari (IT) 2023 (photos Agostino MELA ©)

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Adiouma Diabaté