VANGELIS

Notre rencontre via Frédéric Rossif

Ma première rencontre avec Vangelis s’est faite par l’intermédiaire de Frédéric Rossif qui connaissait bien ma mère. Je me souviens avoir dit, un jour, à ce dernier qu’il fallait absolument qu’il me présente celui qui avait fait la musique d’un de ses documentaires animaliers, La fête sauvage (dont vous pouvez visualiser la bande-annonce ci-contre), musique que je trouvais absolument superbe.

Musique illustrative et mélange des styles

J’avais évidemment entendu les Aphrodite’s Child à la radio et leur succès Rain and Tears, mais je ne faisais pas vraiment le lien : c’était une chanson sympathique mais sans importance majeure, une de plus basée sur le fameux Canon de Pachelbel, comme l’ont été et le seront beaucoup d’autres. Ceci-dit, dès l’écoute de l’album 666, j’ai commencé à me demander ce qui était en train de se passer « chez les Grecs » ! Et cela s’est confirmé (la magie vraiment commencé à opérer) quand il a entamé sa carrière solo avec des titres comme My Face In The Rain, sur l’album « Earth » qui préfigurait un style de nappes électroniques aériennes qu’il allait largement exploiter ensuite.

La fête sauvage est différente : c’est un des premiers albums où j’ai entendu de la musique électronique et de la musique africaine mélangées, et cela n’a pas été sans conséquences dans mon évolution musicale. Je crois qu’on peut le considérer, à cette époque, comme un des pionniers de ce qu’on appellera beaucoup plus tard (sous l’influence de Peter Gabriel) la « World Music ».

Vangelis est un colosse, et je crois que cela influence sa musique. C’est quelqu’un de très « physique », un « fauve », au sens le plus noble qu’on puisse donner à ce mot. Ce côté animal est quelque chose que j’apprécie beaucoup chez lui, et je suis sûr que ce n’est pas un hasard si notre rencontre s’est faite par l’intermédiaire d’un grand cinéaste animalier.

Le Style de Vangelis

Vangelis est percussionniste, mais c’est aussi un super pianiste !

Face aux synthés, il a une attitude particulière : il ne va pas fouiller dans les entrailles des machines comme je le fais. Quand j’ai reçu mon premier DX7, par exemple (qui était un synthétiseur numérique complexe de nouvelle génération), la première chose que j’ai faite a été d’en dévorer le mode d’emploi, alors que Vangelis aurait plutôt une démarche inverse : il joue, il triture les boutons, il en sort ce qui en sort, et il va créer sa musique en fonction des sons qu’il s’est mis à disposition ainsi.

J’en discutais encore tout récemment avec lui : c’est pour cela qu’il a tellement adoré le CS-80 Yamaha qui, pour lui, est le plus beau synthé jamais créé.

Il se sert en particulier de l’after-touch polyphonique qui est une chose merveilleuse musicalement, et que malheureusement plus personne n’utilise : il s’agit de la possibilité d’appliquer des nuances séparées à chaque note d’un accord tenu, pendant la tenue du son, après l’attaque. C’est un effet très différent de la vélocité des claviers dynamiques (qui porte, elle, sur l’attaque, simulant les instruments percussifs comme le piano), mais aussi de l’after-touch canal, qui est une modulation globale appliquée à toutes les notes de l’accord en même temps, de même nature que celle qu’on obtient avec une pédale ou avec une molette de modulation. L’after-touch polyphonique agit simultanément (et donc pour chaque note) sur le volume, le timbre (via le filtre) et sur le vibrato, c’est incroyablement expressif ! Et Vangelis est un maître incontesté de l’after-touch polyphonique.

Synthétiseur CS80 Yamaha (photo Pete Brown cc)

Synthétiseur CS-80 Yamaha en 1977 (Photo Pete Brown – cc)

Pour illustrer à la fois son côté animal et sa manière de composer, je proposer de réécouter cet extrait d’un album sorti en 1976, Albedo 0.39, dans lequel on peut penser que ses compositions sont des improvisations structurées après-coup. Contrairement à une compositeur qui va s’asseoir à sa table et écrire après avoir tout mentalisé avant d’entendre une seule note, contrairement à des groupes allemands comme Tangerine Dream, Klaus Schulze, ou mon ami anglais Tim Blake, qui font de la musique à base de séquences répétitives sur lesquelles ils développent des mélodies, Vangelis fonctionne très peu avec des boucles. Il enregistre directement à partir de ses claviers, qui étaient les Korg PE 1000/PE 2000, ARP Pro Soloist et Fender Rhodes à l’époque de cet album.

Il a fait évoluer cette logique de claviers « à portée de main » jusqu’à se faire fabriquer récemment par le technicien belge Willi Buys un système personnalisé comportant un grand nombre de pédales figurant une sorte d’orgue à base de synthés qui lui permet de piloter simultanément un grand nombre de sons différents, et il va utiliser cette improvisation comme base, incluant en faisant du montage, pour obtenir un résultat qui, comme c’était déjà le cas dans l’exemple ci-dessus serait presque du free-jazz électronique : un foisonnement de percussions, de batterie, de synthés et de pianos électriques qui représente pour moi une des musiques électroniques les plus charnelles, les plus sensuelles que je connaisse et qui est une de ses « marques de fabrique ».

Pour en savoir plus sur lui

Vangelis (Evangelos Odysseas Papathanassiou) dispose de pages Wikipédia très documentées et dotées de nombreux liens, aussi bien dans la version francophone, que dans la version anglophone, (nettement plus complète). Il dispose aussi d’un fan-club très diversifié qui a réalisé des sites non officiels mais très bien faits comme Elsewhere, Vangelis Movements, Vangelis Collector, Nemo Studio (son studio, très intéressant !)… malheureusement tous anglophones, mais qui constituent une base importante pour s’informer sur lui et son œuvre.

Épitaphe

[17 mai 2022] Voilà : le grand fauve s’est couché, j’ai perdu un ami et un maître, que je regrette de ne pas avoir fréquenté d’une manière plus assidue car je crois qu’il m’aimait bien aussi…

En témoigne cet article de Gérard BAR-DAVID.

Vangelis en 2007 (photo Kapetan Nikolios cc)

Vangelis en 2007 (Photo Kapetan Nikolios cc)

H

Areski et Brigitte Fontaine

I

Jean-Michel Reusser