MORY DJELY KOUYATÉ
Parler des Kouyaté c’est d’abord parler des griots, et de cette très ancienne dynastie de chanteurs/conteurs mandingues dont Mory est un descendant direct. Leur rôle est, avant même de chanter, de conserver les mythes d’une société de tradition orale.
Comme on peut le lire dans la page Wikipédia consacrée aux griots, djéli, isolément, signifie « sang » et est le nom donné en malinké aux griots du pays mandingue. Les Kouyaté sont une lignée de griots descendants de Balla Fasséké, le griot de Soundiata Keita souverain mandingue du début du XIIIe siècle. Il existe ainsi en Afrique de l’Ouest des patronymes qui, comme celui-là, sont très répandus (un peu comme nos Durand ou Martin), mais qui sont liés là-bas à certaines activités, réparties par castes. « On ne devient pas griot, on naît griot par des liens particuliers » et la caste des Kouyaté avait la lourde responsabilité d’assurer la transmission orale de la connaissance, dans un monde où l’écrit était inexistant.
En fait, j’ai rencontré Mory Djely par l’intermédiaire d’Ousmane Kouyaté, guinéen comme lui, qui était un des guitaristes de Salif Keita (qui, lui, est malien). Cela remonte à 1989, l’année du bicentenaire. Ousmane voulait réaliser un album et voulait absolument que j’en fasse la musique, mais je n’étais pas très enthousiaste : il voulait chanter lui-même et je trouvais qu’il ne chantait pas très bien. J’ai alors pensé que la manière la plus radicale mais aussi la plus honnête de m’en sortir consistait à le lui dire tout net. À ma grande surprise il m’a dit que ce n’était pas grave, et qu’il pouvait me proposer quelqu’un de sa famille qui chantait très bien (il s’agissait donc de Mory Djely). Ousmane a commencé à me faire écouter ses propres créations, que j’ai trouvées bien faites et bien jouées (c’est un excellent guitariste). Il a de bonnes idées de compositions, et j’apprécie particulièrement le fait qu’elles soient évolutives, et ne restent pas linéaires comme beaucoup de morceaux africains.
On s’est donc retrouvés chez moi à faire des maquettes en préparation de cet album. Ce jour-là j’étais en train de construire une séquence qui tournait en boucle sur mon QX3 (un séquenceur MIDI « hardware » que je trouvais très pratique), et Ousmane arrive avec ce colosse (encore un !) qu’est Mory Djely, qui commence à chanter directement sur cette boucle. D’un seul coup j’ai des frissons qui me parcourent tout le corps… et là je fais ce que beaucoup d’africains font : je sors un billet de deux cent francs et je lui mets dans la main. Il éclate de rire, Ousmane aussi, ça a été le début de notre rencontre, qui a donné lieu ensuite à de nombreux échanges jusqu’à nos jours.
L’album qu’on a réalisé et commercialisé à cette époque s’appelle Domba et on peut en entendre un titres sur YouTube : Djougouya, sur lequel la voix est celle de Mory Djelly. Deux autres chanteurs sont présents aussi sur l’album, Ousmane lui-même et Amadou Sodia.
Mory était reparti en Guinée mais m’a rappelé pour m’expliquer qu’il avait un projet et qu’il voudrait le réaliser avec moi. Il est revenu plusieurs fois à Paris, en 1990-91 où nous avons enregistré quelques morceaux ensemble, puis, de manière plus suivie, en 1998 où nous avons réalisé cet album entier, Kononenta qui n’est sorti qu’en Guinée, à cause du fait que je n’ai jamais été très bon en promotion et que je n’ai pas réussi à intéresser une maison de disques à Mory Djely.
L’album qui est connu ici et dans lequel je l’accompagne au piano, s’appelle Tinkiso et date de beaucoup plus tard, en 2010. Quelqu’un nous avait alors mis en contact avec Gilbert Castro (fondateur de Mélodie Distribution, devenu RSD, alias Rue Stendhal Distribution) qui a craqué sur sa voix et sur l’idée de faire un disque combinant voix mandingue et piano.
Mory ne s’exprime pas très aisément en français, ce qui limite notre communication principalement à la musique, mais ce n’est pas rien, et quand il chante j’ai toujours les même frissons.
C’est de cet album qu’est tiré le morceau ci-dessous que nous avons joué au festival de Fès pendant l’été 2012 et qui a un peu de succès sur YouTube.
En 2014, j’ai produit et réalisé avec Mory-Jelly un album ambitieux, en compagnie de nombreux musiciens et pour lequel, pour la première fois j’ai pris un réalisateur, qui s’appelle Pavle Kovacevic, fan de synthé d’origine Serbe que j’ai rencontré chez Francis Mandin. Cet album n’a pas suscité l’intérêt des maisons de disque, à quoi s’est ajouté un accident vasculaire cérébral qui a affecté Mory fin 2015 et qui ne nous permet plus de continuer cette aventure. J’espère pouvoir mettre à disposition cet album dans un futur proche.