YOUSSOU N’DOUR
Première rencontre
Je ne sais si c’était la première fois qu’il venait en France, mais mes oreilles ont découvert Youssou N’Dour en vedette américaine d’un concert d’un groupe ghanéen bien connu des années 70, Osibisa. Cela se passait dans les années 80, à l’époque où j’hébergeais Agyemang chez moi, et j’y suis d’ailleurs allé en sa compagnie, tout heureux qu’il était de retrouver ce groupe composé en partie de musiciens de son pays. Mais j’étais loin de me douter de ce qu’allait me réserver la première partie du spectacle !
Je n’avais pas encore rencontré le Sénégal à cette époque, et en arrivant sur le lieu du concert, je me préparais à attendre patiemment le groupe Osibisa, pour lequel j’étais venu, en écoutant distraitement la première partie. Mais dès le début, après une déferlante de percussions magistralement interprétée par ses deux complices, Mbaye Dièye Faye au sabar, et Assane Thiam au tama, la voix juvénile de Youssou a retenti, accompagnée de celle plus adulte de son choriste Ousin Ndiaye puis, pendant une heure, les chansons se sont enchaînées à un rythme effréné. Bizarrement, ce n’est pas le rythme qui focalisait mon attention, mais vraiment la voix de ce chanteur, déjà star dans son pays quoiqu’encore à peine sorti de l’adolescence.
Je dois dire que les larmes me sont venues plusieurs fois aux yeux, et que mon émotion était telle qu’elle m’a empêché d’apprécier le concert d’Osibisa à sa juste valeur. Je suis allé le voir en coulisses, et lorsque je lui ai dit qu’il m’avait fait pleurer, cela l’a fait rire. Il parlait à peine français et après lui avoir serré la main, je suis reparti à la maison, c’était notre première rencontre et ce n’a pas été la dernière !
Débuts de collaboration
Lorsque j’ai rencontré Prosper Niang, je lui ai évidemment parlé de ce compatriote, mais il était mi-figue mi-raisin à son sujet. Je pense qu’il considérait Youssou comme un musicien de jazz peut considérer un chanteur de variétés, peut-être avec un peu d’envie pour le succès facile et un peu de dédain pour une musique plus simple, sans que je sois sûr que cette interprétation corresponde vraiment à sa pensée.
Il n’empêche qu’à mon premier voyage à Dakar, c’est bien Prosper qui m’a amené dans une salle où Youssou se produisait. Et je ne sais pas si celui-ci m’avait reconnu, mais il a accepté que je sorte mon petit CS-01 (qu’il baptisera plus tard le Saïsaï – le voyou en Wolof), et m’a fait l’honneur de me laisser jouer sur scène deux morceaux avec lui et son groupe.
Nous nous sommes revus ensuite à Paris au cours de l’enregistrement de son album Nelson Mandela, et c’est à cette occasion que j’ai fait plus ample connaissance avec les membres de Super Étoile (son orchestre), tous aussi valeureux les uns que les autres. J’ai déjà parlé des deux percussionnistes, il y avait aussi Habib Faye à la basse et aux claviers, qui avait déjà assimilé toute la musique jazz, sans pour autant oublier sa culture sénégalaise. Il y avait aux guitares Pap Oumar, rythmicien d’acier, et Jimmy Mbaye, d’un émouvant lyrisme rappelant les instruments à cordes traditionnels de chez lui (on peut le voir à l’œuvre aux côtés de Youssou dans cette vidéo).
Il y avait encore deux merveilleux saxophonistes, Thierno Kouyaté et Issa Sissokho, ainsi qu’un danseur comique malheureusement décédé depuis, Alla Seck. Youssou avait vraiment choisi parmi les plus forts de son pays, et je pense qu’il avait aussi fait ce qu’il fallait pour les garder longtemps. Ce groupe et son chanteur ont en effet révolutionné la musique sénégalaise, peut-être encore plus efficacement que ce que nous avions essayé de faire avec Xalam, car ils le faisaient sur place, dans le pays même.
Autres albums, entre Paris et Dakar
Dans les années 1990, c’est son manager de l’époque,Thomas Rome, qui lui a rappelé qu’il avait bien apprécié le français aveugle qui venait juste de faire un disque avec Salif Keita, Et qui lui a donc suggéré de faire aussi appel à moi pour son prochain album. Youssou est venu à Paris et m’a proposé une collaboration qui allait s’avérer extraordinaire et dont allait faire naître une amitié durable entre nous.
Je l’ai accueilli à la maison, et on s’est mis à travailler sur les chansons de son futur album, Eyes Opened. L’une d’elle, Useless Weapons, figure en fait telle quelle sur l’album, sans aucun rajout, telle que nous l’avions réalisée chez moi.
Les autres, ont été faites en rigolant et en délirant autour, lorsque je créais les arrangements, en pensant aussi à la manière dont ils allaient être joués par le groupe, jusqu’à imiter le style de certains de ses musiciens avec mes claviers. Ils m’ont dit plus tard qu’ils l’avait bien ressenti ainsi, et cela a certainement contribué à nous rapprocher encore.
Lorsque je suis parti au Sénégal pour l’enregistrement final, en septembre 1991, j’ai été accueilli comme un frère par Youssou et sa bande. J’étais hébergé chez lui, il venait de se construire un studio tout neuf à Dakar, on enregistrait tous les jours de la semaine, essuyant aussi les plâtres du studio avec tous les problèmes techniques liés.
Venaient alors le vendredi et le samedi, où nous allions jouer au « Kilimandjaro » ! On commençait vers minuit, d’abord le groupe seul, sur lequel venait se greffer ensuite le choriste (toujours le même) Ousin Ndiaye, puis arrivait la star vers une heure et demie du matin sous un tonnerre d’applaudissements. On jouait les anciennes chansons et pas les nouvelles, par crainte du piratage de ceux qui n’avaient pas encore de téléphone portable à leur disposition, mais possédaient déjà des Walkmans et autres engins capables d’enregistrer. On finissait vers quatre heures, et on allait se manger croissants et pains au chocolat accompagnés de milk-shakes à la pâtisserie de la médina, après quoi on allait se coucher pour se lever à point d’heure… quel bonheur ! Nous avons vraiment vécu une vie de rêve pendant ces trois mois, et à la fin de l’enregistrement nous avons même fait une excursion au Mali où était programmée une semaine de concerts, première rencontre magique, de ma part, avec ce pays.
L’expérience s’est répétée deux années plus tard avec l’album The Guide (wommat), pratiquement dans les mêmes circonstances et avec les mêmes personnes, auxquels s’était ajouté un ami ingénieur du son que j’avais présenté à Youssou, Philippe Brun, et avec qui il allait travailler longtemps. Madame Julia Saar et Monsieur Lokua Kanza officiaient aux chœurs, et le travail se faisait toujours avec un même bonheur.
Sur scène et en tournées
En 1996, nous avons fait une tournée européenne en compagnie d’un autre chanteur, Cheikh Lô et de la magnifique chanteuse sérère Yandé Codou Sène accompagnée de sa fille. Cette tournée plus acoustique s’appelait « Jololi Review ».
Juste avant de partir, pendant les répétitions à Dakar, j’avais appris la terrible nouvelle du décès d’un de mes amis très chers, Mamadou Diallo, conteur sénégalais avec qui je venais de terminer un enregistrement. J’étais tellement bouleversé que j’ai proposé à Youssou de ne pas participer à cette tournée, prétextant que dans mon état, je ne serai plus bon à grand-chose. Mais la réponse de Youssou m’a surpris ! « C’est hors de question » m’a-t-il dit, avec sa voix de vrai chef, c’est-à-dire sans élever la voix…
Il est important de noter que selon Habib Faye, bassiste, clavier, producteur et directeur musical de Youssou N’Dour pendant de nombreuses années (sans parler de son palmarès impressionnant par ailleurs !), et à l’occasion de l’interview téléphonique qu’il m’avait accordée et dont nous avons fait une page originale « Synthénégal » dans la section « L’Afrique et moi », cette période qui s’écoule grossièrement de 1984 à 1996 a coïncidé avec l’émergence d’un style musical majeur au Sénégal, le Mbalax, et même à une version instrumentale spécifique de ce style, le « marimbalax » mettant en jeu des sons de synthétiseurs et plus spécifiquement un son de marimba d’un synthétiseur particulier, le DX7 ! Partant de sons de percussions (marimbas…) que j’avais programmés sur ce synthé et qui avaient été amenés par Loy Ehrlich sur un concert de Touré Kunda, se poursuivant par l’intégration musicale réalisée ensuite par Habib, son frère et moi-même au sein d’albums et de concerts de Youssou, puis par un développement au sein de toute la musique sénégalaise totalement hors de notre contrôle, cette histoire, très liée à Youssou et à ses musiciens, est tellement originale et inattendue que je ne peux que vous inviter à aller la lire (et l’écouter) si vous ne l’avez pas encore fait !
Nous nous voyons toujours avec Youssou, mais c’est un homme très occupé. Il m’appelle de temps en temps, et me fait participer à certains de ses enregistrements.