Mes rapports avec l’Afrique ont été intenses et évolutifs, passionnés et diversifiés, affectifs et musicaux, exigeants et désormais difficiles. J’en ai beaucoup parlé au fil du chapitre « rencontres ». En voici une vision plus condensée, agrémentée d’anecdotes inédites.
Mes premiers contacts avec la musique africaine ont eu lieu à travers l’émission Bananas que Patrice Blanc-Francard, animait sur France-inter au milieu des années soixante-dix. Il diffusait des musiques qu’on dirait aujourd’hui « ethniques », Cuba, Réunion, Caraïbes… et aussi d’Afrique à travers des musiciens comme Manu Dibango, ou Pierre Akendengué.
La première étape-clé a été la rencontre de Freduah Agyemang. En 1982, de relations d’amitié en hébergement ponctuel, (et de fil en aiguille !), il m’emmène dans sa famille au Ghana fin 1981, dans des circonstances particulières (on est tombés en plein coup d’état !) décrites dans la page qui lui est consacrée. Vivre complètement intégré (caché) au sein d’une famille ghanéenne, partageant à la fois leur quotidien et leurs inquiétudes, leur force de vie et leur attention à mon égard, a été une expérience déterminante, qui m’a fait prendre conscience de toute la richesse de ce continent en matière de relations humaines. J’ai ensuite pu faire, en 1983, un autre voyage au Cameroun, où j’ai pu goûter à la vie en brousse et aux balades en forêt.
C’est alors que se passe une rencontre magique et déterminante, à travers un autre ami Gérard Bar-David, rencontré à l’âge de quatorze ans en colonie de vacances et qui a, depuis, fait une belle carrière à la radio et dans la presse écrite. À l’occasion d’une conversation entre lui et Prosper Niang, Gérard nous suggère « mais pourquoi n’iriez-vous pas visiter le Sénégal ensemble ? ». Je me tourne vers Prosper pour lui demander ce qu’il en pense, et il me répond instantanément « Quand tu veux ! ». C’était une époque où on pouvait prendre des décisions comme ça, et les mettre en pratique sans trop réfléchir.
Je suis donc retourné pour la troisième fois sur ce continent, avec lui, à Dakar, en 1984. Nous y avons passé une semaine, et ça a été la folie parce que par son intermédiaire chaque soir je « faisais le bœuf » avec un musicien différent : un joueur de Cora dont je ne me souviens plus du nom (on n’est malheureusement pas restés en contact), Youssou N’Dour, bien sûr, qui était déjà très connu, Ismael Lô, et plein d’autres artistes à raison d’un par soir.
Les choses se sont ensuite emballées : participation à différents albums de Xalam, Youssou N’Dour, Seydou Zombra, Salif Keita… pendant toute la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt dix, Tournée au Mali en 1991 avec Youssou N’Dour, visite de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest : Mali à plusieurs reprises, Burkina Fasso, Bénin, Guinée et bien sûr Sénégal.
Ces voyages se sont poursuivis jusqu’à récemment et le maître mot les concernant est la curiosité. C’est sans doute issu de mes parents, qui avaient tous les deux, à leur manière, leur grain de folie : j’ai toujours aimé découvrir ce que ne connaissais pas. Concernant le confort dans lequel je vis à Paris, j’aime évidemment bien le retrouver, je ne dirai pas le contraire, mais j’aime bien aussi en être privé un temps, soit pour prendre conscience de sa valeur, soit, peut-être aussi, pour prendre conscience de sa non-valeur !
Dans ces voyages que je fais, en Afrique et ailleurs, mais surtout en Afrique actuellement, j’ai un esprit totalement opposé à celui des coopérants (qui restent entre eux !). C’en devient même un défaut, car je n’aime pas être avec d’autres occidentaux qui, à de très rares exceptions près, me « gênent » dans mon intégration ! Je sens de leur part une distance alors que j’essaie d’abolir cette distance. Exception faite des amis musiciens qui partagent la même ouverture d’esprit que moi, mais par exemple, au niveau de la nourriture, je suis absolument ouvert à tout et j’adore découvrir des choses que je n’ai jamais goûté. J’ai ainsi mangé des insectes, des chenilles, et tout un tas de trucs vraiment très exotiques …et la plupart du temps je les ai appréciés ! Et je n’ai pas non plus cette obsession de l’hygiène qu’on a actuellement, et dont on commence à se rendre compte qu’elle nous transforme en poules mouillées au niveau immunitaire !
Malheureusement, et c’est vraiment quelque chose qui me dévaste, les événements intervenus en Afrique ces deux dernières années m’ont empêché d’y retourner : l’épidémie d’Ebola, d’abord, qui s’est étendue dans toute l’Afrique de l’Ouest, mais plus spécifiquement en Guinée, où je devais me rendre pour finaliser de nombreux projets et entre autres l’album de mon ami Mory Djelly Kouyaté, et plus récemment le climat d’insécurité totale entretenu par divers groupes fanatiques, étendu désormais à des pays que j’aime et qui étaient restés épargnés. Les victimes en sont en premier lieux les africains eux-mêmes, mais les étrangers, bien que plus rares, y constituent des cibles privilégiées (si on peut dire !).
Il est difficile de dire mon état d’esprit à ce sujet, si ce n’est de grand désarroi et d’impuissance…